On a beaucoup détesté en silence notre canapé, un honnête FRIHETEN sur lequel avait été renversé du vin rouge, sur lequel plusieurs chiens stressés avaient laissé leur trace, toujours frottées, savonnées désespérément puis recouvertes d’une nouvelle housse. Les coussins ont été crevés par le chien quand il était petit, on les a rembourrés et rehoussés aussi. La housse s’enlève et se remet de moins en moins bien, on sent le pansement qui permet juste une transition : au fond, on n’aime plus vraiment ce canapé qui accomplit l’exploit de s’affaisser et de s’endurcir en même temps. Pourtant, comme on pense peut-être à partir, on le laisse là sans le remplacer. Le chien se cale dans l’angle pour attendre notre retour, il se réchauffe à tous ses coins ; le soir quelquefois on s’allonge dedans, chacun d’un côté de l’angle, pour regarder un film, le chien blotti au milieu ou contre le dossier. Ce sont des moments intimes, tendres et jamais nommés : ceux des gestes et des postures que permet un meuble, même un meuble un peu affaissé et un peu enlaidi. Dans les années 70, le canapé est devenu le centre des salons français petit à petit, parce qu’il permettait de nouvelles postures : si une banquette raide et un peu fifties symbolisait la raideur et la retenue de ceux qui recevaient avec du maintien, les nouveaux canapés ronds et design à la Paulin ou à l’italienne impliquaient qu’on consente à ses invités le droit de s’avachir et de s’enfoncer dans les assises moelleuses.
J'ai dormi dessus. Je participe en pensée à l'adieu sans me moquer de MK et essaye de parcourir en pensée la liste de mes canapés...