Nourritures de réconfort
Je reçois beaucoup de newsletters, et je les ouvre toutes. Parfois, quand j’ai un coup de grisou, je range le gros dossier qui contient celles que je garde et que j’aime relire.
Les goûts du McDo : envie de rien, pulsions de mou
Vittles, une de mes lettres préférées, théorise que goûter les spécialités locales de McDonald’s permet, dans chaque pays, de cerner les principes essentiels de la cuisine locale : quels goûts, quelles textures comptent ? Le McKroket flamand est au ragoût de boeuf pané, ce que sont à Hong Kong les burgers aux crustacés, le burger philippin à l’omelette, le salami au chocolat en Italie. Le Filet O Fish se vend paraît-il mieux les jours de pluie au Japon, peut-être parce qu’alors, c’est plutôt la chaleur que le contenu de l’assiette qui est déterminant. C’est peut-être pour ces talents qu’on retrouve la fast food de type McDonald’s, uniforme, chaude, dévorable partout, dans beaucoup de listes de comfort food. Après tout, même Fidel Castro, selon son biographe, adorait les milkshakes (la CIA tenta de l’empoisonner par ce biais en 1961) et se vantait de pouvoir reconnaître chaque vache de son troupeau au seul goût de son lait.
McDonald’s métabolise et additionne tous les charmes captivants et coupables du réconfort : les souvenirs de l’enfance, les textures chaudes, moelleuses ou croustillantes qui constituent la comfort food, un concept qui ne se traduit qu’imparfaitement de l’anglais en “aliment-réconfort” ou “doudou”. C’est la nourriture de l’enfance, du goût hérité de moments douillets. Sa délimitation est complexe, personnelle et collective (souvent délimitée, générationnellement, par le rayon gâteaux des supermarchés).
Ma comfort food préférée (avec les nuggets, les crêpes et les tartines), ce sont les oeufs à la coque, seul repas par ailleurs que mon père préparait pour moi quand j’étais enfant. C’est facile, délicieux, et quand j’en mange, je me souviens aussi toujours du restaurant d’anniversaire où, pour mes vingt ans, mon copain de l’époque avait demandé au restaurateur de me servir un oeuf mouillettes avec mon foie gras. Pendant ma jeunesse dépressive, J. et moi allions souvent à l’Hippopotamus, où je prenais toujours un oeuf avec un steak, à cheval. La familiarité recrée une forme de domesticité, y compris au restaurant.
Les nourritures terrestres : le plaisir du chimique
Bee Wilson, quand elle revient sur les nourritures qui l’obsédaient adolescente, se souvient d’avoir dévoré des tubes entiers de Pringles à l’oignon, se blâmant ensuite pour son manque de maîtrise d’elle-même. Elle se demandait pourquoi elle n’arrivait pas à en être rassasiée : “What’s wrong with me?”. Aujourd’hui critique culinaire sevrée de cette vieille passion pour la nourriture ultra-transformée, elle se pose une autre question : “What’s wrong with this food ?” Jack Monroe, anglaise elle aussi, rappelle dans ses chroniques qu’on n’a pas toujours la force ou les moyens de, vertueusement, cuisiner, surtout quand on a besoin d’un peu de soutien pour repartir. Adolescente, je mangeais le pot de Nutella à la (grande) cuillère, alors, je n’ai pas vraiment de leçons à dispenser. Alex, de même, m’écrit :
“Au quotidien j’essaie au mieux de cuisiner sainement. Et pourtant, je repense souvent aux knackis, burgers surgelés et raviolis en conserve de ma pré-adolescence, presque à égal avec les plats que ma mère qui m’a élevé seule faisait quand elle trouvait le temps.”
D’autres témoignages recueillis sur mon fil parlent de tartines de Madame Loïk, de soupes de nouilles instantanées, de dragibus, de paella Picard, de tartines de Saint Agur, de crêpes au Nutella (encore lui), de chips. Les produits transformés, stables sur les rayonnages, ont une présence rassurante, mémoire superposée de toutes les fois où on y a eu recours.
La montagne se déplace (ou se mange) à la cuillère
La nourriture de réconfort se mange souvent comme ça, à la cuillère, pour un minimum de vaisselle, d’effort et de stress. La question n’est pas entièrement sereine, on y sent pointer, avec l’élan régressif qu’elle comporte, des questionnements empreints de culpabilité :
est-ce qu’on peut trouver consolant par dessus tout de manger des lardons alors qu’on aimerait respecter des principes végétariens ?
est-ce que donner un bonbon ou de la pizza comme récompense ou consolation crée un rapport malsain à la nourriture ?
est-ce que la nourriture végétarienne “saine” et “éthique” peut apporter le même délice transgressif que le gras “coupable” ?
Beaucoup des repas évoqués (dans mon sondage super scientifique à 72 retweets) ont trait à une forme de becquée. Le pudding, les pommes de terre et le blanc de poulet, la polenta, le dahl, la soupe au potiron, le fromage fondu, le houmous, la cancoillotte, le porridge, le jambon coquillette, la soupe aux pâtes lettres alphabet, les nourritures de maladie, de tristesse ou du dimanche soir, apportées, dans l’enfance, sur un petit plateau à un petit malade.
@Bidibulina évoque ainsi “la bouillie de bébé” :
Un truc que ma mère appelait "la bouillie de bébé", à savoir, du lait, de la maïzena, de la cannelle et du sucre roux. Ça se mange chaud, épais, à la cuillère, c'est bon, sucré et réconfortant.
Quand j’étais petite, ma mère autorisait parfois les dîners-goûters (un bol de céréales pour le dîner). Je ne me souviens pas de ce qu’ils récompensaient, mais j’avais l’impression que ma mère tordait pour ma soeur et moi toutes les règles à cette occasion. On connaît le lien chimique entre le gras et les circuits de la récompense qu’il fait frétiller dans le cerveau, la faim et ses désirs de lipides ; mais il y a aussi dans le lâcher-prise, la rupture avec la programmation ordinaire et responsable des repas, un réconfort et un plaisir particuliers ; un abandon à l’émotion, quand on la mange.
Mes onglets ouverts
Un documentaire fascinant sur la sandale en plastique “méduse” (auvergnate ! dérivée des sabots !) et ses pérégrinations en Afrique de l’Ouest, jusque dans les luttes des maquisards de l’Erythrée, qui inventent de coller les semelles à l’envers pour tromper l’ennemi sur leur fuite. Le plastique, c’est magnifique | Fêter Noël en solitaire | Les femmes confinées sur Tik Tok, un montage magique de Gabrielle Stemmer (cliquez, c’est extraordinaire) | Le couteau (japonais) à tartiner le beurre |