matière(s)
Ce mois-ci j’ai lu beaucoup et pas du tout écrit. J’ai lu sur les fab-labs, “ceux qui restent” dans les campagnes et que le monde n’attend plus, les logiques de la low tech, les stratégies de séduction “canne à pêche” et “filet” des stories Instagram. J’ai bu du vin, j’ai vu un kiné, j’ai appris que les ligaments sont commes des fins cordages qui se distendent parfois, j’ai acheté du mimosa, j’ai appris que mon schéma corporel était flou, j’ai aimé le spécial photographie documentaire de Huck.
J’ai retrouvé dans un de mes vieux cahiers ce beau texte de Tadao Ando :
Il y a un écrivain japonais qui a écrit un petit texte magnifique appelé Tofu, la pâte soja. Selon son auteur, le tofu n’est pas produit en vue d’un quelconque effet esthétique, mais d’abord pour être mangé. En cela, personne ne le considère comme un produit exclusivement esthétique, même s’il exprime à sa manière une sensibilité intellectuelle. Un morceau de tofu de qualité ne peut être fait qu’au terme d’un apprentissage laborieux, long, à la manière du bleu de Klein qui nécessitait également un long travail de conception et de composition.
Ce texte m’est revenu lorsque j’ai lu cette réflexion de u/mthmchris, en quarantaine en Chine depuis plusieurs semaines avec un approvisionnement en légumes frais aléatoire. Publié sur r/Cooking, cet article (très riche !) évoque les mécanismes psychologiques qui poussent à l’inventivité dans la cuisine fusion/de la cuisine de guerre. La version apocalyptique du panier de maraîcher pousse à réfléchir à ce qui fait créer un nouveau plat : l’esprit de recomposition qui vient avec le manque. Si tu ne sais pas comment intégrer un nouvel ingrédient à ta cuisine, laisse-le trainer dans ton frigo et, un soir où tu seras coincé.e, tu trouveras. Si le supermarché ne peut obtenir que trois légumes, tu leur trouveras de nouveaux usages et dosages. Et si tu le peux, tourne-toi vers la tradition : la nécessité a déjà fait loi à de nombreuses reprises et poussé de nombreux efforts collectifs successifs pour créer la version optimale des plats que nous connaissons.
What I am saying though is that this all’s forced us to be the most inventive cooks we’ve ever been in our entire lives… and this’s just from two nobodies with a camera over the course of two weeks. Imagine millions of people, many lifetimes over, with the same mindset.
Cette contrainte permet de dépasser la “fixité fonctionnelle”*, l’obsession de la fonction habituelle des objets (et, ici, des plats), en décomposant toujours plus les différentes parties de l’objet bien connu, à la recherche de la matière. Ce sont aussi des expériences de parole : McCaffrey explique que pour séparer forme et fonction, il faut essayer de décrire de la façon la plus générique possible les différents composants d’un objet, sans présumer de l’usage qui en sera fait. Une bougie comporte de la cire et une mèche, mais l’appeler mèche implique déjà de l’allumer : il vaut mieux parler des fibres qui la composent.
For each object, you need to decouple its function from its form. McCaffrey shows a highly effective technique for doing so. As you break an object into its parts, ask yourself two questions. "Can I subdivide the current part further?" If yes, do so. "Does my current description imply a use?" If yes, create a more generic description involving its shape and material. For example, initially I divide a candle into its parts: wick and wax. The word "wick" implies a use: burning to emit light. So, describe it more generically as a string. Since "string" implies a use, I describe it more generically: interwoven fibrous strands. This brings to mind that I could use the wick to make a wig for my hamster. Since "interwoven fibrous strands" does not imply a use, I can stop working on wick and start working on wax. People trained in this technique solved 67% more problems that suffered from functional fixedness than a control group. This technique systematically strips away all the layers of associated uses from an object and its parts.
(cette rigolote réécriture taquine et outrée par une des membres du collectif “Les mains dans le dos”, je mène l’enquête pour trouver le fanzine.)
J’ai aimé cet article (trouvé dans la très jolie newsletter cailloux de mon amie Alexia Chandon Piazza) qui donne de vraies solutions pour se battre contre le changement climatique, avec beaucoup de simplicité. Le mode d’emploi suggère le combat collectif pour penser le changement autrement qu’avec l’image du renoncement douloureux et de la fin du monde. On pourrait (vraiment) faire mieux avec moins.
Know what you are fighting for, not just what you are fighting against. Imagine dense but livable cities veined with public transit and leafy parks, infrastructure humming away to remove carbon dioxide from the atmosphere, fake meat that tastes better than the real thing, species recovering and rewilding the world, the rivers silver with fish, the skies musical with flocking birds.
This is a future where the economic inequality, racism and colonialism that made decades of inaction on climate change possible has been acknowledged and is being addressed. It is a time of healing.
Matières à réfléchir
Pendant la guerre de Sécession, les femmes du Sud collectaient leur urine à l’usage des usines d’armement. On ne sait jamais ce qui pourra servir.
“Avoir un jardin sale, des légumes mal soignés indiquait un laisser aller de mauvais aloi. C’était perdre la notion du temps, celui où les espèces doivent se mettre en terre.” Quand le père d’Annie Ernaux n’avait pas réussi ses poireaux, “il y avait du désespoir en lui.”
Dans certaines campagnes, on dit que se promener avec un marron dans la poche protège du mal car le marron le capte. Je l’ai appris dans un fanzine sur les forêts en danger, où luttent certains militants en construisant des cabanes et en se mangeant des matraques.
Victoire de Castellane, qui crée la haute joaillerie chez Dior, a créé une collection Nougat dont les bagues en or, pleines de bosses et de creux, semblent avoir modelées comme des caramels mous.
* (Pour en savoir plus, penchez vous sur l’expérience de la bougie de Duncker).