Le sang, le lait et l'eau
Cette semaine, du vrai et du faux, des liquides, la trame des territoires.
D'abord le lait :
"Ce matin, en prenant ma douche chez ma grand-mère, je regardais le flacon de gel douche sur le rebord de la fenêtre. C'était un flacon Dove dit intense douceur, et son image d'illustration représentait du lait, plus précisément du lait qui coule dans du lait, et fait une éclaboussure. Et je me disais, tout en prenant ma douche, que le lait qui représente cette bouteille de gel douche n'est pourtant absolument pas contenu dedans, autrement dit qu'on me vend comme lait ce qui n'en est pas. Qu'en achetant ce gel douche Dove, je suis persuadé de me laver avec du lait, alors qu'il y a tout dedans sauf du lait, et même plutôt des dizaines de produits chimiques. Et si jamais je parlais de ce gel douche à un ami, alors dans ma tête j'aurais l'image du lait imprimée sur le flacon, qui peu ou prou ressemble à ce que je me verse sur le corps, et qui pourtant n'a rien à voir. Et je lui dirais sans doute : ce gel douche, c'est comme du lait. Car la société de consommation repose sur un principe métaphorique pictural permanent. On s'étonne ensuite d'avoir un cancer car on prend ce qu'on nous montre comme ce qui est, or le lait n'est pas cancérigène. Évidemment, on ne se méfie pas du lait, et on se demande comment ce gel douche a pu nous transmettre le cancer, car le lait est sain et bon, et sur notre lit de mort, sous perfusion, on ne comprend toujours pas que durant des années on s'est badigeonné le corps avec des produits chimiques à mille lieues du lait, et qu'il est sans doute normal d'en payer les conséquences."
Ensuite de l'eau :
Le dernier luxe à la mode au Japon est un retour à la tradition du kakigori, un bloc de glace râpé parfumé à un fruit (une sorte de granité) acheminé de lacs et de montagnes comme le Mont Fuji.
"A small, serene dessert shop in the Sugamo neighborhood of Tokyo, buys enormous glassy blocks of natural ice from Mount Fuji to use as the base for its pristine mounds of kakigori. On a recent weekday morning, there was an hourlong wait for a seat."
Enfin le sang :
Un designer néerlandais se demande quel usage nous ferions de la lumière électrique si elle devenait une ressource rare et précieuse qui demandait quelques gouttes de notre sang à chaque utilisation. A propos de lumière électrique, I was trying to describe you to someone de Richard Brautigan, sur l’électrification de l’Ouest américain est une pure merveille. Pour le lire et le relire la nuit, je n'hésiterais sûrement pas à verser quelques gouttes de sang.
I was trying to describe you to someone a few days ago. You don’t look like any girl I’ve ever seen before (...)
I finally ended up describing you as a movie I saw when I was a child in Tacoma Washington. I guess I saw it in 1941 or 42, somewhere in there. I think I was seven, or eight, or six.
It was a movie about rural electrification, a perfect 1930’s New Deal morality kind of movie to show kids. The movie was about farmers living in the country without electricity. They had to use lanterns to see by at night, for sewing and reading, and they didn’t have any appliances like toasters or washing machines, and they couldn’t listen to the radio. They built a dam with big electric generators and they put poles across the countryside and strung wire over fields and pastures.
There was an incredible heroic dimension that came from the simple putting up of poles for the wires to travel along. They looked ancient and modern at the same time.
Then the movie showed electricity like a young Greek god, coming to the farmer to take away forever the dark ways of his life. Suddenly, religiously, with the throwing of a switch, the farmer had electric lights to see by when he milked his cows in the early black winter mornings. The farmer’s family got to listen to the radio and have a toaster and lots of bright lights to sew dresses and read the newspaper by (…)
And that’s how you look to me.
Deux photographes documentent la France en suivant les contours de ses régions naturelles, en essayant de discerner ce qui, dans chaque région, revient régulièrement, voitures jaunes, églises romanes, briques, châteaux d'eau :
"On a tendance a surévaluer Internet, on pense qu’il y a beaucoup de choses, mais il y a des choses qui n'y sont pas. Si on commence à considérer que tout ce qu'il n'y est pas n'existe pas, on fait la même erreur mais à l’envers."