féminisme(s)
Cela m’interpelle de lire des féministes profondément convaincues par le fonctionnement actuel du capitalisme et désireuses de s’y couler. Longtemps traitées en mineures, les femmes qui réclament de la place créent pourtant, forcément, du dérangement dans la mécanique bien huilée qui écrase avec autant de violence tous ceux qui s’y prennent.
Un collectif de poétesses islandaises (“Les poètesses imposteures”) écrivent réunies dans une maison insulaire. Elles le revendiquent : après avoir mis en commun leurs premiers jets, elles échangent leurs textes et s’encouragent à copier les unes sur les autres les meilleures parties. Elles se servent mutuellement du café et se nourrissent à tour de rôle. Elles éditent et réécrivent ensemble jusqu’à être satisfaites, ensemble, et convaincues, toutes, de la qualité indéniable de ce qu’elles ont produit. Elles imposent leur légitimité sur une scène littéraire ouverte mais sexiste qui ne pardonne pas la médiocrité féminine.
Of course women have their own role models, of course they’re reading other women of the same age. But when men aren’t asked these questions, it perpetuates accepted ideas about male poets being geniuses up in the attic, while female poets are somehow more trivial, all members of the same mediocre book club.
The Impostor Poets aren’t hindered by ego—instead, we inflate and reinforce one another’s self-images. We are allies, we are colleagues, and we are always intent upon pulling our fellow women into the limelight with us, and more than willing to do so. Men have done the same thing for hundreds of years. We operate on the premise that there’s room for all of us within the literary scene, because there is always room for quality in the world, and although we as individuals sometimes forget that we are talented and clever, the collective never forgets. It remembers everything. And pushes onwards.
Ecrire, mais pas seulement. Citer joue aussi une part importante dans la diffusion des voix moins entendues, celles qui n’ont pas été adoubées comme importantes. C’est vrai aussi pour le féminisme, sur lequel on entend régulièrement les mêmes figures adulées s’exprimer.
We want to be in good company but tend to get stuck on thinkers who others have already designated as important: (mostly) dead white men.
Recognize that your work is co-created.
Who can I suggest who would be a better person than me to be the expert here? Who do I want to be in community with?
La pensée féministe implique d’être dérangé car elle demande de repenser avec plus de nuance la notion de productivité qui nous rend si profondément vulnérables. Nous devons réfléchir à la façon dont sont conçus et fabriqués les objets, à qui les utilise. La discrétion de cet acte de contextualisation exclut les visions messianiques. C’est la même démarche qui porte les collectifs ruraux qui servent de lieux ressources écologiques et féministes (des terres de femmes). Ces collectifs réfléchissent à une façon de faire résonner la sensorialité personnelle (la caresse du vent, la cuisson du pain comptent) dans une expérience du monde politisée (le concept de sweat equity, la colère qui part du produit vaisselle : “qu’est-ce que j’envoie dans l’eau ?” et va des nappes phréatiques au ciel).
Il faut sortir de cet embourgeoisement des femmes qui ne savent plus faire grand chose de leurs dix doigts. Si le travail domestique consiste à réchauffer un plat surgelé et à faire les devoirs des enfants, c’est un travail domestique relativement peu intéressant et indigne qui ne permet pas de réactiver toute une chaîne de savoirs, et dans ce cas là on arrive à une délégation complète de ce savoir, et auprès de qui ?
L’engagement pour la justice vient aussi des conditions de vie personnelles, même si elles ne créent pas un discours aussi romantique que l’idéalisme : les femmes noires du Sud des Etats-Unis connaissent les combats environnementaux du fait de la pollution de l’eau et des polluants des produits ménagers ou de coiffure, par exemple, quoique les médias reflètent de cet engagement discret, humble, quotidien, peu photogénique.
Agnes Denes travaille depuis des années sur les dangers de la technologie effrénée. Elle qui a planté un champ de blé sur un terrain vague près de Manhattan en 1962 déclare : “Inside, even in a misguided fool, lurks a good person.”
Ursula Le Guin écrit en 1986 que le premier outil humain n’était pas la lance mais la sacoche, la gourde, l’écharpe en “porte bébé” pour transporter de la cueillette un peu plus que ce que la main seule pouvait contenir. Le travail féminin du chasseur-cueilleur est un travail partageur par nature.
Eva Illouz continue à fouiller nos viscères pour nous montrer comment faire reposer tant de charge sur les émotions nous met en danger de violence.
Il ne faut pas non plus sombrer dans une vision romantique des émotions, qui seraient de l’ordre de l’ineffable et échapperaient à la technologie. Elles ne le sont pas. L’intériorité du sujet est plus limitée et prévisible qu’on ne le dit même si on ne comprend pas les mécanismes.
L’anonymat sur Internet, par exemple, fait qu’on est beaucoup plus sauvage, violent, haineux, beaucoup plus soi-même. Les gens qui interagissent par Internet peuvent être sous certains aspects plus authentiques. On est en train de remettre en question notre vision de l’authenticité.
#MeToo n’est pas une énorme victoire, c’est une petite victoire contre une machine masculiniste extrêmement puissante. C’est la victoire de celles qui ne veulent plus les compromis.
De celles qui sont prêtes à ne plus être des people pleasers.
Phrases à écouter
Shin Noguchi photographie ses compatriotes japonais la tête dans une machine à laver, les bras remplis de sacs, de cônes de circulation, embarrassés de leurs corps dans l’espace public : ‘I want you to feel that, when you see my work, you are not alone. There is always someone keeping an eye on your struggle’
Les astronautes venus à bord d’Apollo ont laissé sur la Lune plus de 100 sacs contenant leurs excréments.
Dans L’Amérique de Kafka, l’auteur voit une épée dans la main de la Statue de la Liberté. Perec écrira : « Être émigrant, c’était peut-être très précisément cela : voir une épée là où le sculpteur a cru, en toute bonne foi, mettre une lampe. »
“The climate safe world we must make is here already in small fragments we can weave together & expand upon” - Dr Elizabeth Sawin
“Another world is not only possible, she is on her way. On a quiet day, I can hear her breathing.” Arundhati Roy