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Léa, une lectrice de la lettre, m’a écrit la semaine dernière au sujet du titre, “La vie matérielle” (d’un titre de Duras), pour interroger son rapport possible avec une citation de Marx et Engels. Cela correspond particulièrement bien à mon propos, en particulier cette semaine.
Je suis tombée sur un extrait de L'idéologie allemande cité dans un de mes cours d'anthropologie : « Mais, pour vivre, il faut avant tout boire, manger, se loger, s’habiller et quelques autres choses encore. Le premier fait historique est donc la production de la vie matérielle elle-même, et c’est même là un fait historique, une condition fondamentale de toute histoire, que l’on doit aujourd’hui encore, comme il y a des milliers d’années, remplir jour par jour, heure par heure, simplement pour maintenir les hommes en vie ».
Pourquoi travaillons-nous si dur ? Pourquoi surévaluons nous le nombre d’heures que nous travaillons pour nous convaincre que nous sommes occupés, productifs, dignes de nos heures de loisir et de retraite ? Byung-Chul Han écrit, dans Le désir ou l’enfer de l’identique :
L’auto-exploitation est beaucoup plus efficace que l’exploitation par un tiers, parce qu’elle va de pair avec le sentiment de la liberté. L’exploitation devient ainsi possible sans même avoir recours à la domination. (…) La maxime néo-libérale s’exprime, dans la réalité, sous la forme d’un impératif paradoxal : “sois libre !” Elle plonge le sujet de la performance dans la dépression et l’épuisement.
Le capitalisme n’est pas une religion : chaque religion opère avec la dette et son annulation. Le capitalisme ne fait que créer de la dette. Il ne dispose d’aucune possibilité d’expiation qui libèrerait l’endetté de sa dette.
Le coût de la vie occupe toutes les journaux, augmente comme un niveau d’eau qui monterait petit à petit jusqu’au delà du respirable.
Cet article très dur montre celui, social, financier et logistique, d’échapper à l’emprise de violences conjugales. Cacher un peu d’argent, trouver un appartement en secret, saisir le moment de fuir, prendre seulement une valise, enlever son propre enfant à l’occasion d’un rendez vous chez le médecin dont on espère ne jamais rentrer, prévenir les ressources humaines de son travail, essayer d’ouvrir un compte en secret, réapprendre à acheter avec parcimonie quand on a tout perdu, à vivre sans la contrainte de la violence :
“I tried to open the new bank account at our credit union. They said I needed to bring my ex into the bank to close our existing account. I was like, “My life is in danger.” They were like, “That’s not our problem.” My dad contacted a branch manager. It turns out she was a domestic violence survivor, and the next day she shut down the old account and opened the new one."
“Because of child welfare’s involvement, I had to do domestic violence classes. I had to do parenting classes. I had to do drug and alcohol treatment. Child welfare paid for everything. When I realized what had been happening in my life, I was so angry. The day the divorce was finalized, child welfare closed my case. I got into a housing program so that I could move into my own apartment. An advocate from a nonprofit came by every week to see how I was, how the kids were, did I need shampoo.”
Du bureau de Margaret Drabble (qui écrit, en fait, dans une chambre en ville, le bureau dans son appartement étant chargé de sacs de courses) au frigo de Jia Tolentino, The Paris Review se soucie depuis longtemps des conditions d’écriture des auteurs et autrices mis en avant. Le New York Times s’interroge également cette semaine sur le rôle des espaces mis à disposition des artistes, de plus en plus petits du fait des loyers actuels, dans leurs pratiques et leurs réalisations : comment crée-t-on des pièces d’art contemporain qui nécessitent de la fonderie dans une colocation ? Comment choisir entre le temps pour travailler et l’espace nécessaire pour le faire ?
Le plus beau cadeau de mariage reçu par Ursula Le Guin dans la France de 1953 : une boîte de préservatifs envoyé par un ami militaire posté en Allemagne, à une époque où les moyens contraceptifs étaient rares, coûteux et illégaux. On sous-estime terriblement le rôle de la contraception dans la naissance des autrices. Susan Sontag, tombée enceinte à 18 ans, Annie Ernaux et Le Guin elle-même le savaient intimement, l’espace pour créer est aussi une affaire de choix disponibles.
Deux (très) bons livres
Argent, de Christophe Hanna chez Amsterdam et Les artistes ont-il vraiment besoin de manger ?, collectif, chez Monstrograph
Deux (beaux) livres qui traitent (bien) d’un sujet : les salaires et conditions de vie des auteurs. Chez Hanna, Nathalie2400 (Quintane) côtoie Henri1000 (Michaud). On sait ainsi d’où chacun nous parle quand il décrit son budget, son loyer et la façon dont il voit l’argent. Chez Monstrograph, c’est une série d’entretiens qui révèle que la passion ne nourrit pas (seule) : matériel, façons de se relever d’un coup du sort, contenu du frigo, tout est passé au crible avec intelligence et transparence par Clémentine Beauvais, Ryoko Sekiguchi, Amandine Dhée, Coline Pierré et Martin Page (dont c’est la maison d’édition) et bien d’autres de leurs amis.
“Le boulot alimentaire est au dessus de mes forces, et j’ai assumé pas mal d’années de grave merde financière pour pouvoir le dire.”
Insolite
Au milieu du XIXe siècle, l’ornithologue Frank Chapman déclairait que Manhattan était un des lieux au monde où l’on trouvait la plus grande variété d’oiseaux : 174 différentes espèces (plumes ou totalement empaillées) réparties sur 542 chapeaux. | En décembre 1989, les militaires américains ont diffusé, devant l’ambassade du Vatican où Noriega, général panaméen renversé par leurs soins, s’était réfugié, une musique qu’il détestait : hard rock et heavy metal, la guerre par le son. | Quignard écrit : “Les oreilles n’ont pas de paupières.” | Cunningham’s Law: "The best way to get the right answer on the Internet is not to ask a question, it's to post the wrong answer." | Darra Goldstein, historienne spécialiste de la gastronomie, défend une approche de l’histoire “by means of the wooden spoon instead of the scepter.” | En 1936, c’est l’affaire United States v. One Package of Japanese Pessaries qui a déclenché l’autorisation, pour la première fois, de l’envoi de contraceptifs par la poste. |